À la recherche des ancêtres du Salon...
Nous vivons aujourd'hui dans un monde qui a érigé un mur presque infranchissable entre un divertissement de masse sans saveur et des pratiques artistiques et intellectuelles de plus en plus compartimentées. Faire tomber ce mur pour renouer un dialogue fécond entre les arts, les savoirs et les hommes : c'est la mission que se donne le Salon du Tout-Art. Mission ambitieuse, car dans les dernières années ce mur n'a fait que grandir. Mais a-t-il toujours été si dur à franchir ? N'y a-t-on pas, dans les siècles passés, percé des brèches pour créer des espaces d'échanges entre les masses, les artistes et les intellectuels ? Cette interrogation nous incite à rouvrir nos livres d'histoire, pour tenter d'y dénicher des prédécesseurs du Salon du Tout-Art. Une quête fructueuse, qui nous a conduits des écoles de philosophie antiques aux cabarets montmartrois, en passant par les cours des rois et les milieux intellectuels du XIXe siècle.
Épisode 2 : les cours italiennes de la Renaissance
Au XVe siècle, l'Italie telle que nous la connaissons aujourd'hui n'existe pas encore : son territoire est divisé entre de multiples cités-États, souvent dirigées par des princes. S'ils se font la guerre, leur concurrence se joue aussi dans le champ culturel car les souverains cherchent à attirer dans leur cour les meilleurs artistes et savants de leur temps.
À Milan, Ludovic Sforza prend sous son aile Léonard de Vinci, et son épouse Béatrice d’Este fait rayonner sa cour en animant des chœurs musicaux et en protégeant l'écrivain Baldassare Castiglione et l'architecte Bramante. À Florence, Botticelli peint le Printemps pour un cousin de Laurent de Médicis. À partir de la fin du XVe siècle, l’État pontifical du Vatican a également recours aux services de nombreux artistes : Michel-Ange y peint la voûte de la chapelle Sixtine et son célèbre Jugement dernier, Raphaël décore les appartements pontificaux... |
Le Printemps, Sandro Botticelli, 1478 |
Ce soutien financier apporté par les princes aux travaux artistiques et intellectuels favorise l'épanouissement de la Renaissance qui rompt avec les siècles médiévaux pour mettre à l'honneur les modèles antiques, en arts comme en philosophie.
Une réelle effervescence culturelle
À Florence, au sein de la cour de Laurent de Médicis, Michel-Ange côtoie de nombreux autres génies de la Renaissance, comme le poète Ange Politien ou le philosophe Pic de La Mirandole. Lui-même exerce ses talents artistiques en peinture et en sculpture, mais aussi en architecture et poésie. La variété de son œuvre rappelle celle des travaux de son aîné Léonard de Vinci, à la fois peintre, sculpteur, architecte, urbaniste, hydraulicien, ingénieur militaire, botaniste, astronome, philosophe et poète. Comme dans l’École d'Athènes, peinte par Raphaël entre 1508 et 1512, un dialogue fructueux s'établit entre les penseurs et les créateurs de l'Antiquité et de la Renaissance. Les cours de la Renaissance italienne sont donc des espaces où les échanges entre les arts et les savoirs donnent lieu à une réelle effervescence culturelle. C'est ce dialogue entre les disciplines et cette émulation intellectuelle et artistique que le Salon du Tout-Art aspire à recréer.
Dès le XVe siècle, les princes de toute la péninsule italienne déploient d'immenses moyens pour doter leur État des plus belles œuvres d'art. Désormais, leur prestige ne s'acquiert plus seulement par les armes : un principe puissant doit faire preuve de magnificence, cette vertu qu'Aristote définit dans l’Éthique à Nicomaque comme « la capacité de discerner ce qu'il sied et de faire et de dépenser sur une grande échelle et avec goût ». C'est donc en homme « magnifique » que Ludovic II de Gonzague se comporte quand il demande à Andrea Mantegna de décorer sa chambre conjugale dans le château Saint-Georges où il réside à Mantoue. Une telle recherche de la beauté est aussi celle du Salon du Tout-Art.
La « Camera picta » ou « Chambre des époux », décorée par Andrea Mantegna entre 1465 et 1474 à la demande de Ludovic II de Gonzague qui dirige alors Mantoue
Des arts et des savoirs au service des puissants
Profil du duc Frédéric de Montelfeltre et de son épouse sur le Diptyque Montelfeltro, réalisé par Pietro della Francesca entre 1467 et 1472 |
Mais, dans les cours italiennes de la Renaissance, les artistes et les savants sont dépendants de leurs mécènes : ils ont l'obligation de contribuer par leurs œuvres à la gloire du prince qui les protège. À la fin du XVe siècle, Pietro della Francesca loue le duc d'Urbin Frédéric de Montefeltre et sa femme dans le Diptyque Montefeltro, et, à Ferrare, la duchesse Lucrèce Borgia compte sur Ercole Strozzi pour chanter sa grandeur. |
Au contraire, le Salon du Tout-Art défend l'indépendance culturelle : il propose un espace soustrait aux rapports de force qui structurent le champ social, un espace où les artistes et les intellectuels peuvent créer et penser sans avoir à se conformer aux désirs des puissants ni aux idéologies dominantes.
De plus, seuls quelques privilégiés profitent des œuvres des génies de la Renaissance italienne : les peintres réalisent des fresques pour les demeures des princes, les architectes construisent des églises dans les grandes villes, et les poètes chantent les louanges de leur puissant mécène. Mais personne ne bâtit de palais pour les hommes et les femmes plus modestes. Aujourd'hui, de telles barrières sociales existent toujours : ce sont elles que le Salon veut faire tomber en faisant des arts et des savoirs l'affaire de tous, et non pas le domaine exclusif d'une élite.
En ce sens, le Salon du Tout-Art est un peu comme une cour italienne de la Renaissance sans prince : un espace où les arts et les savoirs sont rois et où tous les êtres humains, sans hiérarchie, peuvent échanger, penser et créer ensemble.
Julie Sarfati, chargée de la rédaction presse et de l'événementiel aux Éditions LCH·Compagnons.