Épisode 3 : les salons littéraires sous l'Ancien Régime

Épisode 3 : les salons littéraires sous l'Ancien Régime

À la recherche des ancêtres du Salon

Nous vivons aujourd'hui dans un monde qui a érigé un mur presque infranchissable entre un divertissement de masse sans saveur et des pratiques artistiques et intellectuelles de plus en plus compartimentées. Faire tomber ce mur pour renouer un dialogue fécond entre les arts, les savoirs et les hommes : c'est la mission que se donne le Salon du Tout-Art. Mission ambitieuse, car dans les dernières années ce mur n'a fait que grandir. Mais a-t-il toujours été si dur à franchir ? N'y a-t-on pas, dans les siècles passés, percé des brèches pour créer des espaces d'échanges entre les masses, les artistes et les intellectuels ? Cette interrogation nous incite à rouvrir nos livres d'histoire, pour tenter d'y dénicher des prédécesseurs du Salon du Tout-Art. Une quête fructueuse, qui nous a conduits des écoles de philosophie antiques aux cabarets montmartrois, en passant par les cours des rois et les milieux intellectuels du XIXe siècle. 

 

Épisode 3 : les salons littéraires sous l'Ancien Régime

Salon à l'hôtel de Rambouillet

Séance d'un salon à l’hôtel de Rambouillet, François-Hippolyte Debon, 1862

À partir de 1608, Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, ouvre les portes de son hôtel particulier aux beaux esprits de son époque. Elle les accueille dans sa célèbre Chambre bleue, qui tient son nom de la couleur des murs de la pièce où sont reçus La Rochefoucauld, Madame de Sévigné, Malherbe, Mme de Lafayette, Corneille...

Cette pratique fait des émules : aux XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreuses femmes riches et bien nées invitent chez elles des gens du monde, des écrivains, des financiers et des étrangers de passage. Mais le mot « salon » n'est pas encore employé pour désigner ces réunions, nommées plutôt « cercles » ou « sociétés ». Au XVIIIe siècle, « salon » est un terme architectural qui renvoie à une grande salle de réception : c'est le XIXe siècle, nostalgique de cette forme de sociabilité, qui lui donnera le nom de « salon ».

Des espaces propices à la création

Les salonnières et leurs hôtes cultivent l'art de la conversation, échangent des bons mots et se livrent à des jeux d'esprit. De ces activités peuvent émerger des sujets et des expressions propres à féconder l'inspiration des artistes présents parmi les invités. De plus, les salons rendent possibles des débats d'idées et des conversations littéraires entre leurs convives. Dans La lecture de L'Orphelin de la Chine dans le salon de Mme Geoffrin, le peintre Anicet Lemonnier a représenté de grandes figures du XVIIIe siècle réunies chez cette célèbre salonnière issue de la haute-bourgeoisie pour lire une tragédie de Voltaire et échanger à son sujet. Dans ses appartements au décor luxueux, Mme Geoffrin reçoit des figures politiques, comme Turgot et Malesherbes, des aristocrates, à l'image du duc de Richelieu, ainsi que des artistes et écrivains, notamment Jean-Jacques Rousseau et Jean-Philippe Rameau. En mettant en scène une lecture de L'Orphelin de la Chine, ce tableau rend hommage à Voltaire, et rappelle le rôle central qu'ont eu les salons dans l'épanouissement de l'effervescence intellectuelle qu'ont été les Lumières.

Lecture orphelin Chine

La lecture de L'Orphelin de la Chine dans le salon de Mme Geoffrin, Anicet Lemonnier, 1755

C'est aussi dans les salons que se construisent ou se détruisent les réputations des écrivains : chaque hôte exprime son opinion au sujet des œuvres que les auteurs présentent, et recevoir de nombreux avis favorables sont souvent pour eux un gage de succès. Les échanges qui animent les salons peuvent également alimenter les querelles littéraires de leur temps : lorsque Le Cid de Corneille fait scandale en 1637, certains habitués de ces réunions mondaines prennent son pari, comme Guez de Balzac, alors que d'autres le critiquent fermement, à l'image de Georges de Scudéry. Cependant, ces débats, aussi vifs soient-ils, restent toujours contenus dans les règles de la bienséance, au respect desquelles les salonnières veillent soigneusement. Bienveillante, la critique collective orale pratiquée dans les salons permet aux auteurs de corriger leurs œuvres pour les adapter au goût de leur public. Elle peut aussi donner lieu à des genres nouveaux : selon l'article « Les salons littéraires de l'Ancien Régime : des espaces critiques atypiques » publié par Amandine Demême-Thérouin dans la revue Postures, ce sont les échanges littéraires tenus dans les salons qui ont conduit Mme de Sablé et François de La Rochefoucauld à fonder le genre des maximes.

Sous l'Ancien Régime, les salons sont donc le lieu d'une réelle émulation intellectuelle et littéraire, que le Salon du Tout-Art aspire à reproduire.

De fortes hiérarchies

Cependant, si ces espaces, par leur nature privée, se situent hors de la cour royale, ils n’échappent pas aux rapports de pouvoirs qui structurent la société des XVIIe et XVIIIe siècles. En effet, il faut faire partie d'une certaine élite pour être admis dans un salon, si bien que les paysans et les domestiques en sont exclus. Lors de ces réunions, les écrivains rencontrent un public aristocratique, auquel ils s'efforcent de plaire dans l'espoir peut-être de s'attirer les faveurs d'un généreux mécène. Sur ce point, les « cercles » de l'Ancien Régime sont un contre-modèle pour le Salon du Tout-Art qui, quant à lui, s'adresse à chacun, quelle que soit sa classe sociale, et fait de la culture l'affaire de tous.

 

Sous l'Ancien Régime, les femmes acquièrent grâce à leurs salons une réelle autorité en matière de jugement littéraire. Certaines d'entre elles pratiquent même l'écriture, mais elles acquièrent rarement le statut d'autrices de leur vivant : ce n'est qu'après sa mort que les lettres de madame de Sévigné sont publiées, et madame de La Fayette fait paraître La princesse de Clèves anonymement. De plus, ces salonnières cultivées ne sont qu'une exception, car la majeure partie des femmes de leur époque n'ont accès à l'instruction. Pour finir, si ce sont des femmes qui animent et modèrent les conversations dans les salons qu'elles tiennent, ces réunions rassemblent majoritairement des hommes de pouvoir ou de lettres. Y persistent donc des rôles genrés, que le Salon du Tout-Art désire abolir.

Portrait de madame de lafayette

Portrait de la comtesse de La Fayette réalisé par Louis Elle

Ainsi, s'il veut accueillir des débats littéraires et philosophiques aussi féconds et passionnés que ceux qui animaient les salons de l'Ancien Régime, le Salon du Tout-Art compte bien abolir les hiérarchies sociales et sexuelles qui avaient cours dans ces réunions mondaines des XVIIe et XVIIIe siècles.

 

Julie Sarfati, chargée de la rédaction presse et de l'événementiel aux Éditions LCH·Compagnons.

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