Les visages de la culture : portrait de Libertexte

Les visages de la culture : portrait de Libertexte

Marsanne, Drôme provençale. Une petite commune d'un peu plus de mille-deux-cents habitants, surmontée par le clocher de l'église Saint-Félix, perché au sommet du vieux village. En déambulant entre les façades couleur pastel et les murs de pierre des maisons marsannaises, le visiteur aura la surprise de tomber sur un commerce qu'il n'est pas habituel de voir dans un petit village français : Libertexte, une librairie d'occasion qui occupe le rez-de-chaussée et les deux étages d'une maison orangée. C'est ce lieu atypique que nous vous proposons de découvrir dans ce deuxième épisode des Visages de la culture.

Photographie panoramique de Marsanne. ©Jean-Raymond Delahaye

Visite guidée d'une librairie aux multiples facettes

Lorsque l'on pousse la porte du 10 avenue Albin Davin, ce sont les livres qui nous accueillent. Le visiteur rencontre d'abord des polars et des livres d'art, puis en poursuivant son parcours au rez-de-chaussée, il traverse les rayons sciences humaines, philosophie, histoire, mangas et cinéma avant de gravir un escalier qui le conduit à un premier étage où règne la littérature. La profusion de livres est telle qu'il est difficile d'imaginer combien il peut y en avoir... « 40 000, au moins » selon les fondateurs de Libertexte, David Fejer et Sylvain Fuma.

Rayons philosophie et sciences humaines

Vue sur les rayons « philosophie » et « biographie » de Libertexte. ©Jean-Raymond Delahaye

Ces ouvrages leur viennent parfois de dons, mais « l'approvisionnement a souvent à voir avec la mort, les décès de propriétaires de livres », explique Sylvain, « les enfants héritent d’une bibliothèque, ils ne savent pas quoi en faire... ». « Et ils essaient de voir combien ils peuvent en tirer en nous les vendant ! », complète David. Une fois récupérés, les livres sont triés dans un petit local situé en face de Libertexte, puis nettoyés et rangés sur les huit-cents mètres d'étagères qui couvrent les murs de la librairie.

Rez-de-chausséeAu fond du rez-de-chaussée, un tableau peint par Sylvain Fuma surmonte l'ouverture qui mène aux produits des « éditions alimentaires » de Libertexte. ©Jean-Raymond Delahaye

Mais Libertexte ne vend pas que des livres d'occasion. Si l'on s'aventure au fond du rez-de-chaussée, on a la surprise de tomber sur des confitures, des pâtes de fruits, des chutneys... Tous ces produits sont fabriqués grâce aux arbres que David fait pousser sur le terrain agricole qu'il possède à proximité de Marsanne : « on appelle ça nos ''éditions alimentaires'' », commente-t-il en souriant.

Si le fond du rez-de-chaussée de Libertexte est réservé à la nourriture, son deuxième étage a lui aussi une fonction bien à lui. « Au départ, c'était un espace de coworking », raconte David. « Mais il n'a pas pris, et finalement on s'est dit qu'on le récupérerait bien pour y mettre notre iconographie ». « En haut, on a interdiction de charger en livres comme on a chargé au premier étage », ajoute Sylvain. « Sinon, ça risque de s'écrouler ! » Actuellement, le deuxième étage accueille donc une exposition qui présente des tableaux peints par Sylvain et des œuvres d'une amie de David. « Mais c'est un endroit qui va évoluer avec des expositions thématiques, pas forcément pour montrer l'artiste local », précise ce dernier. Le prochain accrochage mettra par exemple à l'honneur les dessins de Frans Masereel. « Ce sont des zincographies, obtenues grâce à un mode de reproduction utilisant des plaques de zinc », explique Sylvain en montrant les dessins en question. « Ils ont été publiés pendant la guerre de 14 en Suisse, dans une revue pacifiste qui s'appelait La Feuille ». Ces dessins devraient être exposés dès cet été, accompagnés de leurs légendes originales et soigneusement contextualisés.

Tableaux de Sylvain
Quelques tableaux de Sylvain exposés au deuxième étage. ©Jean-Raymond Delahaye

« Ce projet est né de rencontres »

Créer un lieu dans lequel des livres d'occasion côtoient des productions alimentaires locales et des expositions d'art n'était pas un but prémédité de ses deux fondateurs : « Ce projet est né d'une rencontre entre David et moi », se souvient Sylvain. « Et d'une rencontre avec un lieu disponible dans Marsanne, puis avec des personnes qui étaient très bien pourvues en livres et qui nous ont soutenus et fourni du fonds pour démarrer ». Mais si David et Sylvain ont donné naissance à un lieu comme Libertexte, ce n'est pas complètement par hasard, car tous deux partagent une grande passion pour le livre. Elle se ressent dans leur voix, lorsqu'ils parlent des ouvrages exceptionnels qui sont passés entre leurs mains. 

« La semaine dernière, on venait de mettre en rayon un Contrat social de Jean-Jacques Rousseau imprimé en 1791 à Strasbourg », raconte David, « et il y a deux personnes qui se le sont disputé devant nous, alors qu'on se disait qu'on aller encore pouvoir en profiter un peu... ». Sur les étagères de Libertexte, le visiteur peut donc trouver des poches vendus à quelques euros, mais aussi des ouvrages plus rares, comme les numéros de nombreuses revues littéraires du XXe siècle. « Nous avons la NRF [Nouvelle Revue Française], Les Temps modernes, la Revue Europe... Il y en a pour tout le monde, et à chaque fois sur l'entièreté du siècle passé ! », précise David.

Pièce du premier étage

Sur les étagères de cette pièce située au premier étage de Libertexte, on trouve entre autres l’œuvre complète de Voltaire, « moins un volume », précise Sylvain. « A la personne qui l'achètera de trouver celui qui manque ! », ajoute David. ©Jean-Raymond Delahaye

Si aujourd'hui les touristes et les habitants locaux admirent la richesse des collections de Libertexte, ce projet n'a pas tout de suite convaincu tout le monde : « Au début, on ne nous prenait pas du tout au sérieux ! », raconte David. « Une librairie d'occasion dans un village, ça interloquait un peu les gens... » Mais peu à peu Libertexte se fait connaître, grâce au bouche-à-oreille et à quelques articles de presse. « Aujourd'hui, certaines personnes font parfois trente kilomètres pour venir ! », lance joyeusement David. Ils viennent d'Ardèche, d'Isère et parfois de Paris pour déambuler entre les étagères de Libertexte, ouvert toute la semaine en été et quatre jours sur sept le reste de l'année. « Pour faire tourner le bateau, on est une dizaine de bénévoles », explique David.

« Rester libres et légers »

Des bénévoles, car Libertexte est une association qui n'emploie aucun salarié. Choisie « pour ne pas faire de business », selon les mots de David, la forme associative permet aux fondateurs et aux autres bénévoles de la librairie, qui ont tous un travail en parallèle, de « rester libres et légers ». « On ne sollicite aucune subvention », ajoute Sylvain. Son ami complète : « c'est un modèle économique en soi. On n'a pas besoin de grand-chose pour se développer et pour être vraiment présents, sans dépendre d'une subvention ou d'un asservissement à une sorte d'offre généreuse, qui n'en est jamais une... ».

Un bénévole et des clientes

Au rez-de-chaussée, un bénévole accueille deux clientes. ©Jean-Raymond Delahaye

C'est grâce à ce modèle associatif que Libertexte a pu voir le jour et se développer. « Les gens cherchent toujours une solution économique à leur situation », explique David. « Ils essaient de lier ça à ''est-ce que je peux en vivre ?'' Notre liberté, c'est de ne pas avoir eu cette question-là à gérer. » « Et c'est d'arriver à fabriquer des choses avec très peu de choses ! », ajoute Sylvain. « Avec rien ! », renchérit son ami, « c'est générateur d'un plaisir inouï ! ». Selon eux, c'est parce qu'un lieu comme Libertexte n'est possible que sous la forme d'une association sans but économique qu'il est si rare de trouver des endroits semblables dans de petits villages comme Marsanne. Et cet ancrage territorial est central pour David et Sylvain.

« Reconstruire le monde au village »

Livres premier étage

Au premier étage, les étagères de livres s'étendent jusqu'à occuper les fenêtres. ©Jean-Raymond Delahaye

« L'association marsannaise autour du livre en papier » : tel est le nom de l'association qu'est Libertexte. Il illustre bien l'importance que le livre comme objet physique a pour David et Sylvain, préférant de loin la matérialité de leur boutique à la vente par internet que pratiquent certains bouquinistes. « Le but de notre association, c'est qu'il y ait des livres au village », affirme David. Si Libertexte propose une offre généraliste de livres d'occasion à des prix très abordables, c'est pour les rendre accessibles à tous ceux qui vivent à Marsanne ou passent par cette commune drômoise. « Reconstruire le monde au village et s'adresser à tout le monde » : c'est ainsi que David présente la vocation de Libertexte. Une vocation politique, à l'heure où l'accès à la culture tend de plus en plus à devenir le privilège d'une élite urbaine souvent dotée d'un fort capital économique.

 

Les visages de la culture, une série de portraits de figures culturelles : 

Dans les espaces de plus en plus minces laissés à la culture par les médias se succèdent toujours les mêmes têtes d'affiche. Mais autour de ces quelques célébrités qui concentrent sur elles les feux des projecteurs, une multitude d'hommes et de femmes œuvrent dans la pénombre pour faire vivre une culture créative et indépendante. Des comédiens et comédiennes, des projectionnistes, des peintres, des ouvreurs et ouvreuses de salles de spectacle, des poètes, des galeristes, des musiciens et musiciennes...

Donner la parole à toutes ces personnes dont la voix se fait trop rarement entendre : telle est la vocation des « visages de la culture », une série de portraits d'acteurs et d'actrices du monde culturel.

 

Julie Sarfati, chargée de la rédaction presse et de l'événementiel aux Éditions LCH·Compagnons.

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