Les visages de la culture : Portrait d'Alexis Moncorgé

Les visages de la culture : Portrait d'Alexis Moncorgé

Alexis Moncorgé ressemble à la rue de la Gaîté dans laquelle nous l'avons rencontré. La même énergie, la même vitalité créatrice. Nous nous sommes entretenus avec lui dans un café dont la fenêtre donne sur l'entrée du Petit Montparnasse, théâtre où ce trentenaire joue Eldorado 1528 jusqu'en décembre 2023. Portrait d'un comédien engagé pour son art et pour le monde.

« Nous, les acteurs, nous sommes des passeurs »

« La base de mon métier c'est de partager, de partager un texte, des émotions avec un public, de faire résonner une histoire dans des âmes », affirme Alexis Moncorgé. « Nous, les acteurs, nous sommes des passeurs, ni plus ni moins ». Et c'est justement pour la partager qu'il a décidé d'écrire lui-même l'histoire d'Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, un conquistador du XVIIe siècle dont il a fait le personnage principal d'Eldorado 1528. Alexis Moncorgé se décrit comme « un grand voyageur », qui aime découvrir ce qui fait l'identité des pays qu'il parcourt. Lorsqu'il est allé en Amérique latine, il s'est donc tout naturellement plongé dans des livres d'histoire sur les « Grandes découvertes ». C'est alors qu'il est tombé sur Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, que l'on connaît grâce au rapport qu'il a adressé à Charles Quint sur son voyage en Amérique.

Alexis Moncorgé dans Eldorado 1528

Alexis Moncorgé dans Eldorado 1528 © Julien Jovelin

« Ce qui m'a intéressé n'est pas le personnage historique, mais le symbole », précise Alexis Mocorgé. « Un homme qui marche à contre-courant de ses contemporains, qui suit son ombre, qui traverse un continent en soignant ». Il réécrit donc l'histoire de ce conquistador paradoxal, en s'appuyant sur son imagination pour combler le manque d'informations sur le chemin suivi par Alvar Nuñez Cabeza de Vaca durant les huit années qu'il a passées en Floride. La pièce est véritablement née après le confinement : « quand je suis rentré en France, j'ai trouvé qu'il y avait un repli communautariste un peu partout dans mon pays », se souvient Alexis Moncorgé. « Cela m'a fait peur et j'ai eu envie de parler d'altérité. L'angle d'attaque de mon spectacle a été de parler de l'Autre avec un grand A ». Il surmonte ses craintes de ne pas être légitime en tant que dramaturge, et écrit Eldorado 1528 : « il fallait que je crée cette histoire, sinon elle n'aurait jamais existé ».

Dans cette pièce, il interprète seul sur scène une dizaine de personnages différents, offrant une performance physique remarquable. C'est avant tout par le corps qu'il entend transmettre des émotions et des significations aux spectateurs. Et c'est aussi par le corps qu'il entre dans un personnage : « quand je travaille un rôle, je l'aborde d'abord à travers la danse, raconte-t-il. Quand je jouais Rouge avec [Niels] Arestrup (ça se passait dans les années 50 à New York, et je faisais un jeune assistant de Marc Rothko), je suis allé prendre des cours de modern jazz. Pour me libérer : la danse libère toujours quelque chose. Après, je l'utilise ou pas, mais peu importe. » Alexis Moncorgé construit son jeu très physique en étroite collaboration avec sa fidèle metteuse en scène Caroline Darnay. Cette ancienne danseuse qui le dirige dans Eldorado 1528 signait déjà la mise en scène de La Paix du ménage, la première pièce professionnelle dans laquelle Alexis Moncorgé a tenu un rôle important.

« Quand on fait ce métier, il faut être prêt à se dire qu'on entre en religion »

Avant de jouer dans La Paix du ménage au début des années 2010, il a suivi des cours de théâtre à Paris. Au début de sa carrière, il a dû partager son temps entre les planches et les terrasses où il servait des cafés pour gagner sa vie. En 2016, il remporte le Molière de la révélation théâtrale masculine pour son rôle dans Amok, une pièce qu'il a lui-même adaptée de la nouvelle de Stefan Zweig. Une consécration obtenue grâce à beaucoup de travail et de sacrifices : « Quand on fait ce métier, il faut être prêt à se dire qu'on entre en religion, explique Alexis Moncorgé. C'est un métier où tu oublies tout : tes week-ends, tes vacances, ton train de vie correct... C'est ma passion et mon travail qui passent avant tout. »

Depuis toujours, il sait qu'il veut être comédien. « Et je ne sais rien faire d'autre, c'est terrible ! », ajoute-t-il. Une vocation peut-être liée au parcours de son illustre grand-père, qui n'est autre que Jean Gabin : « grâce à lui, je savais que ça existait de pouvoir vivre de ce métier-là », raconte Alexis Moncorgé.

Pendant le confinement, il a d'ailleurs décidé de lui rendre hommage dans un ouvrage traversant la vie et la filmographie de son grand-père à travers la nourriture. C'est ainsi qu'est né Gabin à table, un livre qu'il a publié en septembre 2023 avec Yves Camdeborde chez Michel Lafon. « C'est un truc que j'ai fait pour m'amuser, commente Alexis Moncorgé. Je suis libre, je fais ce que je veux, donc si j'ai envie de faire ça, je le fais. Je ne me mets pas de barrières. » À sa liberté, le comédien y est très attaché : « quand je veux dire non, je peux dire non. Je préfère retourner servir des cafés en terrasse plutôt que de faire un mauvais spectacle où je vais servir de la soupe à une vedette ! »

Couverture de Gabin à table

Gabin à Table, publié en septembre 2023 chez Michel Lafon

« Je ne m'éloignerai jamais trop des planches »

Outre son goût pour la bonne cuisine, Alexis Moncorgé partage aussi avec son grand-père son amour pour le cinéma. Mais il est certain de ne jamais quitter le spectacle vivant et le lien privilégié qu'il lui permet de nouer avec le public : « Tu ne joues pas pour un public, tu joues avec un public, qui est différent chaque soir, explique-t-il. Tu es comme sur un fil tendu et, chaque soir, tu fais des pas différents sur ce fil parce que c'est une écoute différente que tu reçois. »

Alexis Moncorgé dans Eldorado 1528

Alexis Moncorgé dans Eldorado 1528 © Julien Jovelin

Pour parler de ce qui distingue le théâtre du cinéma, Alexis Moncorgé cite Louis Jouvet : « il disait ''au cinéma, on a joué, au théâtre, on joue''. Au cinéma, c'est ‘’action !’’ et ‘’coupez !’’, puis ça ne t'appartient plus : le réalisateur fait ce qu'il veut des images. Au contraire, une fois que la pièce a commencé, le metteur en scène est comme sur le quai d'un port : il voit un bateau qui s'en va et il fait coucou avec son mouchoir, mais c'est toi qui fais le voyage, tout seul. »

Malgré cette différence entre jouer devant un public et jouer devant une caméra, Alexis Moncorgé souhaite tout de même faire du cinéma. Il est déjà apparu sur le grand écran dans Turf de Fabien Onteniente en 2012 et dans Les Grands Esprits de Olivier Ayache-Vidal en 2017. Mais aujourd'hui se faire sa place au cinéma est difficile, même pour un comédien moliarisé.

« Je veux attiser la curiosité dans le monde dans lequel je suis »

« On est dans un métier où les décisionnaires, qui sont censés avoir de l'imagination, sont ceux qui en ont le moins. S'il y a trois personnes qui tournent en ce moment, ils ne voient les scénarios qu'ils ont entre leurs mains qu'à travers ces trois têtes d'affiche. » C'est avec ces mots qu'Alexis Moncorge explique la difficulté pour les comédiens comme lui d'obtenir des rôles au cinéma. Il constate que les producteurs artistiques se font de plus en plus rares, remplacés par des « gens sortis d'écoles de commerce » qui ne se risquent plus à intégrer de nouveaux visages à leurs castings. De même, beaucoup de spectateurs ne prennent plus le risque d'aller voir de jeunes créations : « comme les gens ont moins d'argent, ils vont vers des valeurs sûres, des spectacles qui ont été moliarisés l'année d'avant ou qui ont du succès depuis une ou deux saisons », constate Alexis Moncorgé.

Il déplore ce manque de curiosité qui se généralise dans notre société et nuit beaucoup à la richesse culturelle. « Dans les médias, la culture est réduite à peau de chagrin, et pour le théâtre c'est encore pire », regrette-t-il. Un jour, une journaliste lui confie que les rédactions leur disent, à ses collègues et elle, « que le théâtre n'est pas assez concernant, ne concerne pas assez de gens ». Des propos qui mettent Alexis Moncorgé hors de lui : « Ça veut dire que l'art, on n'en parle pas ? Que l'on va avoir des journaux où on ne parle que de gens qui font le buzz sur les réseaux sociaux, ou de politique ? Cela me fait peur, je n'ai pas envie de ça... Car je pense sincèrement que ce qui fait lien, qui fait société, c'est la culture. Donc bien sûr que c'est concernant ! ». Et à ses yeux cette culture qui rassemble est essentielle au débat démocratique, à une époque où la place laissée au dialogue est de plus en plus mince. « La culture est là pour poser des questions, pas forcément pour complaire. Moi j'aime bien, quand je vais au théâtre, être dérangé par un propos. Ça me fait me remettre en question ! Parce qu'il n'y a rien de pire que de camper sur ses positions. »

Faire réfléchir, c'est justement l'un des objectifs qu'il poursuit sur scène : « Je veux attiser la curiosité dans le monde dans lequel je suis », affirme-t-il. Et malgré le regard sévère qu’il porte sur l'état du monde actuel, Alexis Moncorgé ne perd pas espoir : « Je fais partie d'une génération qui crée, qui fait des choses : c'est une source d'optimisme pour moi ! »

Il a lui-même de nombreux projets pour la suite. D'abord un scénario de film dont il est l'auteur et qui est actuellement en lecture chez Netflix. Et dès février un nouveau rôle au théâtre, dans une comédie qu'il jouera avec trois autres acteurs au théâtre de la Madeleine. En attendant, il fait vivre six jours par semaine Eldorado 1528 sur la scène du Petit Montparnasse.

 

Les visages de la culture, une série de portraits de figures culturelles : 

Dans les espaces de plus en plus minces laissés à la culture par les médias se succèdent toujours les mêmes têtes d'affiche. Mais autour de ces quelques célébrités qui concentrent sur elles les feux des projecteurs, une multitude d'hommes et de femmes œuvrent dans la pénombre pour faire vivre une culture créative et indépendante. Des comédiens et comédiennes, des projectionnistes, des peintres, des ouvreurs et ouvreuses de salles de spectacle, des poètes, des galeristes, des musiciens et musiciennes...

Donner la parole à toutes ces personnes dont la voix se fait trop rarement entendre : telle est la vocation des « visages de la culture », une série de portraits d'acteurs et d'actrices du monde culturel.

 

Julie Sarfati, chargée de la rédaction presse et de l'événementiel aux Éditions LCH·Compagnons.

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