Conversation avec Hervé Lemarié

Conversation avec Hervé Lemarié

Nous avons rencontré Hervé Lemarié dans l'atmosphère tamisée d'un bistrot parisien, situé à une vingtaine de minutes à pied du cimetière du Père-Lachaise dont son recueil de haïkus porte le nom. Lorsque nous y sommes entrées, nous avons été saluées par les multiples personnages encadrés sur les photographies et les tableaux qui couvrent les murs de ce bistrot du 11ème arrondissement de Paris. C'est sous leurs yeux qu'Hervé Lemarié nous a parlé de son rapport à l'écriture et de ses Haïkus du Père-Lachaise, publiés le 25 janvier 2024 aux Éditions LCH · Compagnons.

« Mes promenades au cimetière du Père-Lachaise ont été l'occasion d'ébranlantes épiphanies »

Quand nous lui demandons de nous parler de la genèse de son recueil, voici l'histoire qu'Hervé Lemarié nous confie :
- C’est au moment de la pandémie de 2020, à la faveur du relâchement progressif du confinement, que j’ai fréquenté quotidiennement le parc du Père-Lachaise, compris pour moi dans le périmètre alloué par les autorités. Mes promenades dans ce parc funéraire ont été l’occasion d’ébranlantes épiphanies. La pétulance, le foisonnement de ses beautés manifestes ou cachées ont fait naître chez moi des sensations qu’il m’a fallu mettre en mots, non seulement pour mieux comprendre ce qui m’arrivait, mais aussi pour pouvoir, éventuellement, partager cet enchantement.
- Cela signifie-t-il que vous avez écrit les Haïkus du Père-Lachaise dans ce cimetière ?
- Pas toujours. Parfois, j'écrivais directement sur place. D'autres fois, je ne faisais qu’y ébaucher un poème. D’autres fois encore, après m’être inconsciemment laissé toucher, ce n'est que le soir ou plusieurs jours après que les choses revenaient.
- Faire un recueil poétique à partir de ces sensations qui vous ont touché, est-ce pour vous un projet prémédité ?
- Pas du tout. Il n'y avait pas de projet éditorial au départ : je notais, simplement, au fur et à mesure de mes sensations. À la longue j'ai rassemblé un certain nombre de poèmes, mais c'est un second événement qui m'a amené à travailler ces haïkus de façon plus concertée : la lecture d'un essai très important de Jean-Claude Pinson qui s'intitule Pastoral et qui est sous-titré « De la poésie comme écologie ». L’auteur y profile une poésie qui serait, je cite, « à rebours du désenchantement moderne », une façon d'être et une façon d'écrire qui ne banniraient pas toute joie. Je rejoins tout à fait sa perspective, même si les nouvelles concernant la nature sont assez moroses !

« Une dimension écologique »

Cette référence à l'essai de Jean-Claude Pinson est un signe du rapport très intime qu'Hervé Lemarié entretient avec la nature. Né dans une ferme en Loire-Atlantique, il a grandi à la campagne. « J'étais quotidiennement en relation avec les pierres, les arbres, les fleurs, les animaux... », ajoute-t-il, « et ça m'a très fortement touché, dès le début. » Cet amour qu'a Hervé Lemarié pour la nature est présent dans la composition même de son recueil, qui suit le rythme des saisons : il s'ouvre par un « Second Printemps », suivi par les sections « Été », « Automne », « Hiver » et « Premier Printemps ». Étonnées par la double présence du printemps, nous questionnons Hervé Lemarié à ce sujet. Voici ce qu'il nous répond :
- Cela est lié à la levée du confinement qui a eu lieu le 12 mai, si bien que le printemps était déjà à demi entamé quand je suis sorti. Et puis la boucle souligne la notion de cycle ; libre aussi au lecteur d’y voir le signe d’un espoir...
- Comment décririez-vous ce que vous avez ressenti à ce moment-là, lorsque vous avez retrouvé la nature après plusieurs mois sans la voir ?
- Pour reprendre une expression de Julien Gracq, j’ai éprouvé un « sentiment de la merveille ». Ce « sentiment » implique de retrouver d’abord ce que Claude Lévi-Strauss appelle une « connivence originelle avec les autres manifestations de la vie ». Donc oui, il y a une dimension écologique dans mon recueil. C'est un peu un pari que je fais avec le philosophe de terrain Baptiste Morizot qui dit que « c'est pour mieux savoir qu'il faut enchanter et c'est parce qu'on sait mieux que l'enchantement advient ». Dès lors, le langage n’apparaît plus comme ce qui nous sépare du monde, mais comme un moyen, aussi fragile qu’incertain, d’apercevoir une harmonie, ce qu’on pourrait aussi appeler un « cosmos ».

« Il faut croire que le demi-alexandrin est mon '' idiorrythmie '' »

Ce langage, dans le recueil d'Hervé Lemarié, n'est pas n'importe quel langage, mais celui du haïku, issu de la littérature japonaise. Lorsque nous lui demandons pourquoi il a opté pour cette forme poétique, voici ce qu'il nous répond :
- Très vite, des mots sont venus se mêler à mes sensations et ils se sont organisés en petites unités, si bien que je n'étais plus très loin de la forme du haïku. Et j'y vois un autre intérêt : la brièveté du haïku permet de densifier l'expression tout en bridant l'effusion lyrique.
Nous nous souvenons alors que le haïku japonais traditionnel se compose de deux pentasyllabes encadrant un heptasyllabe. Or, ceux d'Hervé Lemarié se composent d'hexasyllabes. Nous le questionnons donc sur ce point :
- Écrire des haïkus composés de trois vers de six syllabes, était-ce une forme d'allégeance à l'alexandrin ?
- Je dois confesser qu’initialement il n'y avait pas de mètre précis : l'hexamètre n'est venu que dans un second temps, lorsqu’à la relecture je me suis aperçu que presque tous les vers étaient des hexasyllabes ; je me suis dit alors qu’opter pour ce mètre unique harmoniserait l’ensemble. Il faut croire que le demi-alexandrin est mon « idiorrythmie » pour parler comme Roland Barthes !
Cette idiorrythmie propre à Hervé Lemarié lui vient sans doute de son amour pour la poésie française, mais peut-être aussi de son amour pour le Japon et pour ses poètes, comme Issa ou Bashô dont il cite les noms avec admiration.

Célébrer la vie dans un parc funéraire

S'il adopte une forme poétique japonaise, le recueil d'Hervé Lemarié prend place dans le lieu typiquement parisien qu'est le Père-Lachaise. S'il l'a choisi, c'est parce que ce cimetière était le parc le plus proche de son domicile, dans lequel il a été autorisé à se rendre dès la levée partielle du confinement. Mais le cimetière du Père-Lachaise a d'autres atouts à ses yeux :
- Il est vaste et riche ! Rendez-vous compte : plus de quarante hectares, des milliers d’arbres, des fleurs et des animaux innombrables ! C'était donc un lieu idéal pour retrouver la nature qui nous a tant manqué pendant plusieurs mois !
- Avoir situé vos haïkus dans ce cimetière est assez surprenant, car votre recueil déborde de vie alors que le Père-Lachaise est plutôt associé à la mort... Était-ce un contraste que vous souhaitiez obtenir ?
- Je ne l'avais pas anticipé, mais c'est vrai qu'il m'intéresse. Et je pense aussitôt à Yves Bonnefoy et à Philippe Jaccottet qui nous disent qu’en définitive c'est la présence de la mort qui conditionne pour nous l’existence même de la beauté et de la joie.
- Puisque nous parlons de beauté, quelle est à vos yeux la plus belle partie dans le cimetière du Père-Lachaise ?
- C'est celle qu'on appelle « romantique », la plus ancienne en fait. Elle est particulièrement belle parce qu'elle n'est pas ordonnée comme la partie plus moderne : rien n’y est plat ou aligné. Les tombes, très anciennes, bénéficient aussi de la patine du temps et c’est dans cet endroit tout en relief que la nature est la plus belle.

« Les mots m'ont toujours paru magiques »

Si l'attachement d'Hervé Lemarié à la nature lui vient de son enfance, c'est aussi le cas de son amour pour les mots :
- Aussi loin que je remonte, les mots m’ont toujours paru magiques. C’est dans l’enfance que j’ai noué un lien très fort avec l’écriture car les lettres en cuir que je manipulais avant de savoir écrire dansaient sur mon pupitre une enjôleuse farandole. Et c’est à l’adolescence que j’ai pu commencer à mieux ordonner cette danse, dans des poèmes et des nouvelles.
- Outre les Haïkus du Père-Lachaise, avez-vous écrit d'autres ouvrages ?
- J’ai en préparation deux autres recueils. Un ouvrage est achevé : un roman autobiographique qui s'intitule Remembrement et qui n'est pas encore publié.
- Lorsque vous écrivez, êtes-vous toujours inspiré par des sensations venues de l'extérieur, comme pour les Haïkus du Père-Lachaise ?
- Pour mon ouvrage de prose c'était très différent. Un roman est prémédité, et de ce fait moins spontané qu’un haïku ! Mais dans le mien la nature est aussi très présente, comme l'indique un peu son titre.
- Y a-t-il une grande différence entre écrire de la prose et écrire de la poésie ?
- Pour moi la frontière n'est pas très nette entre les deux genres. Par exemple, Pierre Michon, de même que Julien Gracq, est exclusivement un prosateur, immense ; comme l’auteur du Rivage des Syrtes, il n’en est pas moins, un poète accompli. Chez Jean-Loup Trassard, comment faire le départ entre prose et poésie ? Pour ma part, je me dirais simplement praticien de la langue. Ce qui importe à mes yeux, ce sont les sensations et les mots.

Praticien de la langue, c'est peut-être l'expression qui convient le mieux pour décrire l'auteur des 
Haïkus du Père-Lachaise, car Hervé Lemarié est également un grand lecteur et un professeur de Lettres dans le secondaire qui organise des ateliers d'écriture avec les élèves de son établissement. Lorsque nous quittons le bistrot dans lequel nous avons échangé avec lui, l'envie nous prend de marcher jusqu'au Père-Lachaise, pour lire son recueil dans le lieu qui lui a donné naissance... Si vous souhaitez découvrir à votre tour les Haïkus du Père-Lachaise, vous pouvez commander cet ouvrage sur le site des Éditions LCH · Compagnons

 

Julie Sarfati, chargée de la rédaction presse et de l'événementiel aux Éditions LCH·Compagnons.

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