"La poésie d'Amélie Margueritte retient d'emblée par le refus qu'elle manifeste d'une célébration immédiate du monde : "Mettre à distance ou/entre parenthèses/ le monde/ne change rien : Il est là". Mais ce refus initial n’est que suspens : tout au long du recueil, c'est bien ce "là" du monde qui apparaît pour lui-même dans une lumière à la fois douce et implacable. Non pas tant l'être ainsi du monde que son impossibilité d'être autre. Il y a une permanence et comme une stupeur du monde, puisqu'en lui "il n'existe aucun événement" ; il faut donc se rendre à l'évidence et rendre les armes : "je prolonge le monde tel que je l'ai trouvé". Ce mélange d'étonnement et de résignation donne alors aux choses un éclat singulier : celui de leur présence pure, déroutante, parfois drôle mais toujours quelque peu amortie par la distance. Cette distance est aussi celle d'une voix, proférée comme de nulle part, en une sorte d'exil fondamental : absence de lieu (" je n'avais pas lieu") qui est aussi bien absence de l'événement ("il ne m'est rien arrivé"). Voix qui est d'abord celle de l'enfance, dans laquelle baigne une partie du recueil, où règnent la banalité et l'étrangeté, l'étrangeté de la banalité. C'est de cette enfance que l'on ne cesse de sortir sans cesser d'y revenir, en une interrogation sur l'identité qui devient quête du lieu. Dès lors, le recueil tout entier se donne comme une lente initiation, fragmentaire et fragile, à la lumière de laquelle les situations, les corps, les animaux ou les œuvres, en particulier picturales, accèdent à une beauté nue. Ce lieu est évidemment celui de la poésie même, où retentit ici une voix neuve."
Renaud Barbaras, Directeur de la collection "Quelque part, nulle part"